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Ma vie est formidable,
31 décembre 2005

70. Folle soirée

Traversée de la ville dans la neige ; les voitures roulent au pas, même sur l'autoroute ; la radio annonce des retards pour les bus, le TSOL qui est gêné par une voiture accidentée et que la police demande aux gens de ne prendre la voiture qu'en cas d'absolue nécessité (genre, je vais faire demi-tour, et appeler mes potes pour leur dire qu'il n'est pas indispensable que je les voie ce soir...) ; la neige tombe mais n'atteint le pare-brise que lorsque je suis à l'arrêt ou derrière un lambin trop froussard ou un oublieux qui a encore les pneus d'été.

Bref, on se croirait dans un film, la moindre bizarrerie me fera me demander si je ne suis pas dans un rêve (c'est arrivé trois fois dans le courant de la soirée quand même, par exemple quand j'ai aligné trois strikes en fin de partie).

Arrivée au bowling, la longue table de bois et les bancs sont prêts, la moitié des gens sont là - une petite dizaine - trop calmes. Arrivent les derniers, qui viennent de Genève, retardés par les automobilistes prudents de l'autoroute. Tiens, il a l'air d'avoir mûri, le petit Stéphane. C'est son manteau noir relevé de deux écharpes rouge et blanche qui donnent un air très distingué, et ça lui va bien. Si je ne savais pas qu'il était apprenti ferblantier, je n'aurais pas pu l'imaginer faire autre chose qu'HEC, mais pour beaucoup de Genevois, être bien habillé est presque une obligation et cela fera toujours la différence avec nous, Vaudois, bouseux indécrottables mais si charmants. Cela dit, je dois lui reconnaître qu'il n'a pas du tout ce tempérament qu'on prête aux gens de son canton : la grande gueule mêlée d'une grosse tête. Lui serait plutôt timide et reservé.

Non, pour illustrer ce trait, il suffit de s'attarder sur cet autre qui arrive aussi. S'il est bien habillé, il ne cherche assurément pas plus que ça à épater par son look, mais il est évident qu'il pense être le meilleur de tous. Enfin, ce n'est pas moi qui le dit... ce serait plutôt lui-même, même s'il ne le fait qu'indirectement, en crânant sans cesse. Certes, il faut lui accorder une certaine valeur, il a de l'intelligence et un peu plus de culture que la moyenne, et peut-être (mais plus le temps passe et plus j'en doute) peut-être même encore plus qu'il n'en montre malgré le soin qu'il porte à étaler son savoir et sa grandeur à la moindre occasion. Ce genre de personne m'exaspère au plus haut point en règle générale et suscite au mieux mon indifférence, au pire mon mépris, mais il se trouve que je le supporte assez bien. Peut-être est-ce parce qu'il joue (terriblement bien, à le sous-entendre) du piano et qu'un musicien ne saurait être totalement mauvais ; peut-être est-ce parce qu'il a quand même un peu d'humour, et que je réussis parfois à avoir un échange intéressant et où il ne cherche pas à se mettre en avant ; peut-être simplement parce que le fait qu'il s'enorgueillisse d'être lieutenant à l'armée (... dans la fanfare) suffit à me faire compatir sur la réelle inanité de sa vie.
Certes, à sa place, je chercherais à faire savoir auprès du plus grand nombre d'hétéros qu'il est possible d'être homo et gradé, et sans doute à mes soldats en premier lieu, afin de combattre (à défaut d'ennemi, dans notre beau pays neutre - tiens, prends ce coup de trompette) combattre donc les préjugés associant d'un côté armée et virilité, de l'autre, homosexualité et féminité. Mais pour ma part, je me passe bien de me faire répéter par lui-même qu'il est lieutenant ; je connais déjà bon nombre de gradés dans l'armée du même bord que le mien, de l'aumonier au major, en passant par le capitaine, à tel point que je pense que la proportion des homos est sans doute plus élevée parmi les gradés que dans la population générale (même si l'inverse est sans doute vrai pour les simples soldats).
Quand je le croise, je ne joue plus à parier qu'il va parler d'armée dans ses dix premières phrases, c'en est trop facile de gagner ; ce soir, c'était fait dès son quinzième mot. Mais le sujet n'est réapparu que cinq fois, il était trop occupé à casser du sucre sur le dos d'un autre (lui ayant fait la remarque qu'il n'est pas raisonnable de dire du mal de gens qui, absents, ne peuvent pas se défendre : je peux me permettre, je dis encore plus de vacheries sur lui quand il est là).

Il y avait finalement David II. Je les ai numérotés lorsque je suis sorti avec mon troisième David, et du coup, je ne peux pas l'oublier car il resterait un trou entre David I et David III. Mais je me contente de l'ignorer, je n'attends même plus d'excuses de sa part, vu qu'il ne comprend même pas pourquoi je me suis fâché avec lui après qu'il avait contribué à ma rupture d'avec celui qu'il s'est empressé de mettre dans son lit une fois notre séparation officialisée. Dieu merci, cette caricature du monde gay ne correspond pas à tous les autres que je connais et dont la fidelité en amitié comme en amour n'ont jamais été remises en question.

Parmi les autres, la moitié m'étaient inconnus, mais j'ai eu du plaisir à faire leur connaissance. J'étais plutôt étonné de voir que finalement, ou plutôt pour une fois, tout le monde ne connaissait pas tout le monde.

En résumé, cette soirée était des plus calmes, les autres clients n'ont pas jetés une seule fois un oeil sur notre tablée avec un air intrigué. Le patron, à qui l'organisateur de la soirée avait dit qu'il s'agirait de gays, s'est contenté de dire que c'était plutôt positif...
Marc reçoit les résultats par la serveuse et voit que c'est David II qui l'emporte :
Marc : c'est mon ex qui gagne !
Moi :
C'est aussi mon ex, je te rappelle ! [C'était une coïncidence, tout le monde n'est PAS l'ex de tout le monde]
Marc : Ah ? Ah oui, juste.
Moi : Ben oui, sinon, ce serait pas David II !
La serveuse : Vous faites des sorties avec vos ex ? Vous vous entendez bien comme ça ?
Moi : Ben oui, on laisse nos copains à la maison, on s'amuse beaucoup plus avec un ex !
La serveuse (m'ayant pris au mot) : Vous avez de la chance, moi je ne m'entends avec aucun de mes ex.

Je n'ai pas compté de crise d'hystérie, aucune imitation de MTPNB ou de chanteuse, un seul tu crois qu'il a un gros machin ? et un seul tu crois que j'ai mes chances ?.
Pas trop de méchancetés non plus pour une fois, à peine un il défie les lois de la physique : il est vide, et en même temps tellement lourd, et un David, y a un mineur ! à l'encontre du trentenaire connu pour draguer les mecs de 18 à 25 ans, laché à tue-tête lors du passage d'un type d'une vingtaine d'années.
Pas de postures excentriques pour jeter les boules de bowling, cette fois. Pas de fioritures à l'énoncé des résultats (j'ai fini 4e sur 16, un miracle). Quelques bises discrètes pour se dire au revoir, qui n'ont pris que 10 minutes sur le parking contre près d'une heure la dernière fois ; le fait que c'était l'été en ce temps alors que ce soir il neigeait a sans doute compté, mais les gens ont tous décidé qu'il serait plus convenable de rentrer dormir - oui, chacun de son côté - plutôt que d'aller finir la nuit en boîte. Pas même de discussion sur la manière de payer, division, tout le monde donne pareil, et comme je n'ai pas pris de pizza, on m'a invité alors que j'insistai pour mettre autant que les autres.

Content de la soirée, mais à la limite de la déception de ne pas avoir eu mon lot de réelle folie, en train de me dire que la soirée était décidément spéciale faute de l'avoir été pour de bon, je me redemandais si je n'étais quand même pas finalement dans un rêve. Et alors que je ramenais certains au centre-ville en voiture, j'ai enfin eu droit dans cette soirée à un moment que je ne pourrais pas vivre avec mes potes hétéros : je mets la radio, il y a du classique.

- Moi : Ah, du classique ! Et tant pis si vous n'aimez pas.

N'importe quel pote hétéro dans cette situation aurait dit : Ah ah, tu plaisantes ! suivi d'un changement sans gêne sur Couleur3.
Ce soir, j'ai eu droit à :

- Pote 1, électricien :
Ah non, c'est très bien !
- Pote 2, informaticien : Ce serait pas la Traviata ?
- Pote 3, cuisinier : Ah non, la Traviata, c'est plus enjoué !

- Moi, in petto, le sourire jusqu'au oreilles : Oui, je rêve... en fait, c'est toute ma vie qui est un rêve.

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