415. Ce est sans cédille, comme ça, c'est dit
Une hésitation m'a pris ce matin : écrit-on c'aurait ou ç'aurait ?
Une première réponse vient à l'esprit comme à l'instinct : qu'on garde la cédille de ça ou qu'on préfère la mettre à cause d'aurait, aucune raison de la supprimer ! Mais la logique n'est tout n'est pas si simple dans le monde de la langue française...
Recherche
Premier tour de reconnaissance avec un aperçu de l'utilisation sur le ouèbe. Un premier ecueil se présente, puisque Google prend en compte en partie - mais pas complètement - les signes diacritiques (cf. note du dernier kri) : chaque recherche sort des résultats différents, mais comprenant les deux façons d'écrire.
Les résultats d'une Google-fight sans merci - ajustée empiriquement afin de pallier le problème évoqué - penchent à 3 voix contre 5 pour la version avec cédille ; rien de suffisant qui puisse faire prévaloir un usage ou l'autre sur la règle.
En ciblant sur un blog de correcteurs toujours plein de lecteurs éclairés et diserts, on peut se rendre compte que la seule fois où la forme sans cédille est choisie, c'est à cause d'une majuscule à C'aurait. Car si l'usage des capitales avec accents est encouragé, rares sont ceux qui font les efforts nécessaires au clavier - mais nous y reviendrons plus tard. En revanche, pas d'article qui expliquerait la question ; tout au plus un article intéressant sur l'origine de la cédille, sorte de petit z souscrit rappelant à l'oreille le zéta grec.
Analyse
À défaut d'ouvrage de grammaire, essayons d'appliquer des règles logiques. Six cas sont possibles.
a) l'élision ne modifie pas la présence de cédille (écriture selon le mot d'origine complet)
b) on met la cédille selon le mot suivant l'apostrophe
c) l'apostrophe est considérée comme un signe qui change le son du c en [k] comme les consonnes, le a, le o ou le u
d) l'apostrophe est considérée comme un signe qui change le son du c en [s], comme les lettres e, i et y.
e) l'apostrophe demande toujours la cédille, ou au contraire jamais, sans se soucier de la prononciation et ce pour des raisons d'harmonie visuelle
f) il n'y a pas de règle et c'est au cas par cas (et tout le monde fait comme il veut pendant qu'on y est)
On peut éliminer assez vite les cas suivants :
(f) les règles au cas par cas sont détaillées dans les livres de grammaire ; ce n'est pas le cas et la règle est donc logique.
(e) il est rare que l'orthographe soit modifié pour être plus joli à l'oeil. Plus lisible, oui, comme le circonflexe pour différencier du de dû. En revanche, l'orthographe et la grammaire se modifient volontiers pour préserver l'euphonie (vas-y, mais va). Et si un ç se prononcait dans certains cas [k], on ne serait pas arrivés.
(c) et (d) cu' se prononcerait [k], mais on s'en moque puisqu'il n'y a pas d'exemple pareil dans la langue française. En toute logieu, si un signe indiquant l'absence d'une lettre avait force de loi en la matière, cela ne tiendrait que s'il remplaçait toujours la même lettre. On se retrouve dans le cas (a)
Reste donc ces deux cas : mettre la cédille suivant la lettre élidée ou la lettre suivant l'apostrophe ?
Et là, courageux lecteur qui tiens tellement à connaître le fin mot de l'histoire que tu as pris la peine de tout lire jusqu'ici, tu vas me demander : Mais putain de bordel de couillon de mes deux, pourquoi tu nous fais chier à digresser pareillement quand tu vois bien que dans les deux seuls cas qui restent, ça aurait devient de toute façon ç'aurait ?
B'en pour une raison simple... c'est que ce que je voulais dire, moi, ce n'était pas ça aurait, mais ce aurait. Et je ne suis pas du genre à changer d'idée dans le seul but de me simplifier la vie.
Continuons donc l'analyse pour décider entre le cas (a) et le cas (b), si ce aurait doit s'écrire c'aurait ou ç'aurait.
Cas (a) : on garde l'orthographe initiale et donc on reconnaît plus correctement le mot élidé. Cela suit la logique de la règle d'élision : on remplace un bout de mot par une apostrophe et on ne touche à rien d'autre. C'est bien. Oui... mais...
Cas (b) : on sait tout de suite à la lecture s'il faut prononcer [k] ou [s] et cela suit la logique de l'euphonie qui prend le pas sur la graphie.
Les deux se valent donc plutôt bien.
Un exemple qu'on aurait cru salvateur
Prenons un exemple bête, qui devrait être décisif : dans c'est, pas de cédille ! Ça est bien, une fois ! cas (b), on regarde la lettre suivante, affaire réglée, merci d'être venus.
Stooooooooooooooop ! Juste un truc, comme ça, en passant... Mon dictionnaire - un p'tit drôle -, il me dit un truc, oh, c'est tout bête, mais quand même intéressant : c'est représente ce est. Aaaah ? ah... Ha, ha... Ha... Heuf.
En fait, en y réfléchissant bien, on aurait pu le deviner avant : ça ne s'élide que dans le langage oral à la manière du tu dans t'es là ? ; ç'aurait n'est sans doute pas plus correct qu'un ç'a été.
Retour case d'avant.
Conclusion
Les ouvrages de grammaires diront, j'imagine, que ça ne s'élide pas. Ils ne diront donc pas comment le faire proprement sans laisser des traces de cédilles amputées un peu partout. Mais la question reste posée pour la retranscription écrite d'une telle élision orale, et ce même si on pourrait aller jusqu'à considérer qu'un s'aurai resterait autant correct qu'un chais pas peut l'être.
Impossible de me décider. Ma coeur balance pour (a), mais je n'arrive pas non plus à imaginer que ç'est puisse validement remplacer ça est.
Alors vous choisissez comme vous le sentez !
Partez pas sans rien
On va pas se quitter en mauvais termes, hein ; je ne vais pas vous laisser y aller sans vous donner un petit quelque chose.
Déjà, un petit jeu facile. Quel est le contraire de la cédille ?
Le u. La cédille permet de changer un c dur en c doux, le u permet de changer un c doux en c dur, comme dans accueil. J'avais dit que c'était facile.
Ensuite, un petit truc. Maintenant que vous ne pouvez plus faire semblant d'ignorer que la cédille doit se mettre aussi sur le C majuscule (en capitale, dirais-je si je voulais être précis - tenez, révisez donc à l'occasion l'emploi des majuscules dans un titre), comment le faire sur votre clavier ?
Le moyen assez simple, c'est alt-ç avec un Mac. Mais le plus simple, c'est CTRL-K ,C ou CTRL-K C, dans vim (avec la liste disponible par un simple :digraphs).
Comment ça, vous n'utilisez pas vim et encore moins avec un Mac ? Ah, eh bien si vous n'utilisez pas les bons outils, vous ne pourrez pas faire du bon travail. Vous pouvez toujours utiliser votre bonne mémoire et alt-0199 (au pavé numérique, ce qui n'est pas génial sur un portable).
Ceux qui pensent qu'il n'est pas nécessaire de mettre les accents sur des majuscules font ce qu'ils veulent. Mais imaginez maintenant que vous vouliez savoir ce que signifie bøsse blæse en Danois ? Comment allez-vous (bien, merci) chercher cela en ligne ? (Le æ/Æ est une lettre à part à la fin de l'alphabet, et n'est pas interchangeable par ae.) Et pour ceux qui se moquent du danois mais qui veulent parler un peu d'ångströms, comment ajouter simplement le rond en chef pour avoir le symbole Å ? (De nouveau une lettre à part, qui représente aa.) Simple comme bonjour : CTRL-K o/ , CTRL-K ae et CTRL-K AA !
Avec tout ce temps que vous allez gagner, vous ne regretterez plus d'avoir tout lu jusqu'ici.
Je vous l'emballe ou c'est pour consommer tout de suite ?
EDIT - Finalement une réponse presque simple
Un autre dictionnaire indique clairement la règle, qui existait donc, y compris avec les cas où l'élision est de mise. (Dieu merci, le monde n'est pas que rude anarchie ! Et prenez des notes, parce que dans 6 mois, j'interroge.)
Ce s'écrit C' devant en et les formes du verbe être commençant par une voyelle ; Ç' devant un a.
Et apparemment, pour ce même dictionnaire, c'est vaut pour ce est, mais les Belges disent ça est pour c'est. Ainsi, ça=ce, ce qui démontre qu'en fait tout cela vaut ceci et que c'était bien la peine de se mettre cédille en tête. De toute façon, comment voulez-vous faire confiance à un dictionnaire qui écrit des Y'a ?