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Ma vie est formidable,
18 mai 2006

181. Le premier homme qu'on a pris dans ses bras

10 ans déjà, c'est pas mal.

Et pourtant j'ai l'impression que ça pourrait être facilement le double, tellement il y a eu de choses qui se sont passées depuis. Il y a les mêmes scènes qui se répètent toujours, avec certaines nuances ; il y a parfois des nouveautés - pour ne pas dire des surprises - et à la longue, ça finit par faire un tas de choses dingues quand on y pense ; et aussi tous ces souvenirs pas vraiment exceptionnels mais empreints de petits moments de pur bonheur et qui sont parfois un peu effacés, mais qui n'attendent qu'une occasion pour rejaillir et me faire rire intérieurement Ah oui, c'est juste, c'était fou.

Genèse d'une rencontre.

Il y a 10 ans. Internet n'existait guère en-dehors des universités, d'ailleurs les natels eux-mêmes commencaient juste à se démocratiser (mais il fallait encore payer le prix plein du téléphone, à peine en-dessous du millier de francs). On a l'impression qu'on a toujours vécu avec ces deux outils, et pourtant ! Pas de sites de rencontre, pas de sites de petites annonces ; c'est déjà difficile de trouver l'âme soeur de nos jours, mais à l'époque, c'était une croisade pour qui comme moi n'aurait jamais songer à fréquenter des bars ou autres endroits interlopes. Il y avait bien les petites annonces de L'Hebdo, qui comptaient alors quand même une bonne proportion de personnes cherchant leur idéal du même sexe et qui ne faisaient pas autant de remous que Migros Magazine l'année dernière choisissant de mettre en évidence unu homo dans sa rubrique coeur solitaire. J'avais donc essayé de répondre à deux ou trois annonces, des lettres écrites à la main et qui indiquaient mon adresse postale pour une réponse éventuelle ; pas d'e-mail généralisé, et pourtant l'on était pas loin de l'an 2000. Des lettres écrites sans doute de cette encre turquoise que j'adorais tant et qui m'a suivi durant le cours de mes études gymnasiales et universitaire, et qui avaient débouché sur une rencontre très sympathique, mais sans suite : mon coeur ne s'était emballé que sous l'a peur au moment de devoir appuyer sur la sonnette de cet inconnu, et nous n'avions évidemment que discuté, m'apprenant au passage que les gays avaient donc bien une existence au-dehors des bars, que tout le monde ne fréquentait pas ces lieux, qu'on en trouvait bien plus en histoire de l'art à l'uni et que d'ailleurs le travail de mémoire de mon hôte consistait à comprendre pourquoi telle chappelle du Gros-de-Vaud n'avait pas la travée centrale caractèristique des églises de la même époque, à renfort de nombreuses illustrations prises dans des ouvrages que je n'aurais jamais pensé avoir dans les mains un jour, du moins dans ces circonstances. J'étais reparti en ayant enfin définitivement abandonné l'idée de devoir faire comme tout le monde et me marier un jour (avec une femme) ; les homos étaient des gens comme tout le monde et je n'étais donc ni un monstre ni une exception. (Malgré tout, mes ex diraient sans doute à l'heure actuelle que je suis parfois exceptionnel, mais souvent un monstre.)

Un petit article dans l'Uniscope parlait de l'existence d'un groupe de jeunes gays et lesbiennes à Lausanne, précurseur de celui qui existe maintenant. Un soir que je ruminais le malheur de ma condition et que mon frangin profitait de l'absence de nos parents pour passer un moment avec sa copine de l'époque (je sais qu'il n'avait pas d'ouvrage d'art sur les temples vaudois, et que donc ils devaient sans doute passer leur temps d'une autre façon), je me suis convaincu que ma seule chance de vivre des choses similaires serait par le biais de rencontres faites dans ce groupe, et que, condamné à devoir y aller un jour, le plus tôt serait le mieux. J'ai donc pris dans une main tout le courage dont jétais capable, de l'autre le combiné ce téléphone qui me met déjà mal à l'aise même pour commander une pizza, et ai demandé s'il était encore possible de venir à cette heure tardive alors que la réunion avait dû commencer 3h. plus tôt. On m'a assuré de la possibilité et de ma bienvenue, ce qui m'a donné l'élan nécessaire pour sortir et rejoindre l'immeuble où devait se trouver à l'idée que je m'en faisait une pièce sombre avec des gens assis en rond qui prenaient la parole à tour de rôle pour raconter leurs malheurs.

L'immeuble en question était sis juste en face de la Factoria, bar-restaurant très sympathique qui avait l'inconvéniant d'être plein le vendredi soir au point de déborder sur le trottoir. L'immeuble avait pour sa part l'inconvéniant d'avoir une porte d'entrée fermée et une sonnette en dérangement, substituée par une sorte de buzzer qui pendoullait par la fenêtre 2 étages plus haut. Après être passé trois fois devant, j'ai sonné, et ai dû attendre de longues minutes avant d'entendre quelqu'un venir, minutes durant lesquelles je m'attendais à tout instant à entendre un Tiens,qu'est-ce que tu fais là, toi qui sors jamais ? juste derrière moi. Sous l'effet du soulagement de la porte qui s'ouvrait, je n'ai pas été plus étonné de voir que la personne qui souriait en m'invitant à la suivre portait un long manteau militaire soviétique. C'est parce que j'ai rendez-vous plus tard avec des jeunes qui ne me connaissent pas, et c'est plus facile pour se reconnaître. Merci la discrétion. A mon arrivée, plein de gens qui discutent et qui s'amusent ; aussi un énorme regret de ne pas m'être décidé des semaines plus tôt à venir là. Je suis timide, mais certains ont de la conversation pour deux, je parle un peu piano, chose qui ne m'était jamais arrivée avec mes potes hétéros, et ne me rends même pas compte que j'étais sans doute dragué par la plupart de ceux qui m'abordaient.

R était en année d'échange au Poly ; il n'était ni beau, ni moche, mais il me plaisait ; un peu plus vieux, 23 ans mais en paraissant 20, il ne semblait pas non plus à l'aise - je n'étais pas le seul à venir pour la première fois - et son accent québecois était plutôt craquant (mais à la longue, on s'irrite de ne pas comprendre une phrase sur quatre). On était rentrés ensemble, mais bêtement, les routes vont vers des pays, bientôt le sien fit un barrage à l'horizon de ma folie. Mais nous échangeâmes nos numéros de téléphones, moi celui de mes parents, lui celui de sa maison d'étudiants (ai-je dit que les e-mails n'étaient pas encore un réflexe et les natels encore une exception ?).

Nous avions convenus d'un rendez-vous, une glace au Mövenpick (un glace, pour moi, c'est ce qui est le plus romantique), et j'ai passé la semaine précédente à harceler ma meilleure amie A pour savoir comment me comporter à ce premier rendez-vous, lui cachant qu'il ne s'agissait pas d'une fille. Le jour du rendez-vous, quelques minutes avant, j'étais encore en compagnie d'A et de P, son argh-tu-l-as-trouvé-où-il-est-trop-beau-intelligent-riche-cultivé-sportif-sympa-et-en-plus-il-me-cause-en-souriant copain du moment, leur laissant comprendre qu'ils pouvaient toujours se pointer par hasard au restau pour prendre une glace eux-aussi s'ils étaient si curieux, et P. avait bien compris que mes allusions devaient cacher un mystère, qu'il avait déjà en fait deviné à moitié, étant plus réceptif à mes sous-entendus (parce qu'il ne me connaissait pas bien et n'avait donc pas de préjugé sur moi, me disais-je à l'époque, mais en fait la vraie raison devait être autre comme je l'appris plus tard). La raison de cette invitation cachée était simple : n'ayant jamais bien réussi à dire les mots expliquant mes penchants, j'ai toujours considéré que mettre les gens devant le fait était bien plus simple pour leur dire la vérité, cela empêchant aussi l'incrédulité que j'avais déja dû affronter parfois.

Ainsi, premier rendez-vous galant, accompagné d'un jeune homme et d'une bonne double-glace-crème qui ne me faisait craindre aucune prise de poids puisque j'avais à peine l'âge pour commencer le permis et que le vélo était mon seul moyen de transport. Sur la terrasse, on discute de tout et de rien, on rougit un peu, et voilà A et P qui arrivent au loin : P avait réussi à convaincre A, alors qu'elle pour sa part ne voulait pas venir me déranger.
Moi : Ah, des potes qui arrivent...
R : Ah ?
Moi : Pas de souci, ils vont pas s 'inscruster, ils savent que j'ai un rendez-vous.
A s'approche, R lui tourne le dos, et ce n'est qu'au dernier moment qu'elle remarque ce qui paraissait clocher dans le tableau qu'elle s'imaginait.
A (bouche bée) : ...
P (pas trop surpris, souriant) : ...
Moi : Euh... vous voulez qu'on vous fasse une place ?
A : ... euh... non... on va plutôt aller à l'intérieur...
R, une fois les deux autres partis : Mais, ils sont au courant pour toi ?
Moi : Maintenant, oui...

Quelques jours plus tard, qui nous amènent au 18 mai, troisième rencontre avec R. On fait un tour à vélo, puis on s'arrête chez moi (mes parents étaient rarement à la maison à cette époque, il faut croire). Je suis assis sur mon lit, lui sur une chaise, et finalement me demande si ça me dérangerait s'il venait se mettre à côté de moi ; s'il y a bien une chose que je n'ai pas apprise en 10 ans, c'est bien de faire le premier pas. Mais j'ai appris ce que c'était que de tenir quelqu'un dans ses bras, que de passer une nuit entière à deux dans un petit lit (le sien), attendant que mes parents soient partis au travail, pensant que je dors encore, pour rentrer à la maison, et surtout que dans une petite chambre d'étudiant où on ne peut qu'être couchés ou debout, cette dernière position n'est pas la plus confortable pour s'embrasser des heures lorsque l'objet de son affection est plus petit que soi de 10 centimètres.

Quelques semaines plus tard, R. repartait, en pleurs, pour son Canada natal avant d'entamer de nombreuses années d'étude et de perfectionnement sur les moteurs de fusées spatiales dans de nombreux pays différents, envoyant régulièrement des nouvelles de lui à tous ses amis, et moi remettant toujours au lendemain une réponse, lassé que j'étais de devoir lui répondre qu'il n'y avait pas grand chose de neuf dans ma vie.

Allez, pour une fois, je vais faire l'effort de lui écrire un petit mail, et lui montrer, à lui qui m'a donné le baptême d'amour et de septième ciel que jamais de la vie on ne l'oubliera, le premier homme qu'on a pris dans ses bras.

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